... Delphine de Vigan raconte sa mère dans un roman épatant, qui ne laisse pas indemne ses lecteurs.
Je n'ai jamais lu de roman de Delphine de Vigan avant celui-ci. Les heures souterraines est depuis quelques mois dans ma bibliothèque, mais jamais encore je n'ai su trouver le bon moment pour découvrir l'auteur. Puis, la rentrée littéraire 2011 est arrivée et mon oeil a été de suite attiré par ce roman : Rien ne s'oppose à la nuit. Repéré lors de la lecture d'un magazine littéraire, un extrait mais aussi la couverture de ce livre m'ont happé. Pourtant, le sujet n'a rien de joyeux, et garantissait une atmosphère assez lourde, à première vue.
4e de couverture :
Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre.
Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence.
Après No et moi et Les heures souterraines, Delphine de Vigan nous offre une plongée bouleversante au coeur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis. Ce sont toutes nos vies, nos failles et nos blessures qu'elle déroule ici avec force.
J'avoue que je me suis engagée dans cette lecture avec une légère appréhension...une fois le livre en main, je me disais : "Et si on en disais du bien, mais à l'excès ? Et si le sujet est trop lourd à lire ?". Puis, j'ai commencé la lecture, reprenant cet extrait découvert quelques semaines plus tôt, démarrant avec la découverte par Delphine du corps sans vie de sa mère.
Puis au fil des pages, je me suis laissée entraînée dans ce travail de recherche, car plus qu'un roman, Delphine de Vigan nous dévoile ici une histoire de famille, et un nombre incalculable d'enregistrements, de témoignages qu'elle a récolté avant de s'embarquer dans un travail d'écriture extrêmement lourd.
Le récit suit, par quelques coupures dans l'histoire, ce travail difficile, que Delphine de Vigan ne peut s'empêcher de faire, malgré tout, comme si c'était un réel besoin. Dès le début, l'auteur revient sur son activité d'écrivain face à la disparition de sa mère. La pression est double alors. Non seulement elle parle de sa mère disparue, de sa vie mouvementée, entrecoupée de troubles psychologiques lourds, mais l'auteur doit en plus compter sur la pression de l'attente, par ses proches qui ont été appelé à témoigner auprès d'elle.
Ce travail passe également par le recoupement de différents témoignages, démêler ce que la mémoire a étoffé autour du fait brut. La question de la légitimité de ce travail d'écriture se retrouve fréquemment. Nous ressentons l'hésitation, les doutes de Delphine, qui ne sait si cette manoeuvre est la bonne, s'il est judicieux de ramener le passé pour comprendre le présent.
Car écrire sa mère, c'est également démêler les noeuds autour de sa propre vie, savoir ce qui a pu déclencher l'arrivée de ce nuage sombre recouvrant la santé et l'esprit de Lucile, sa mère. Cette recherche pèse également sur l'auteur qui est "terrorisée à l'idée de trahir l'histoire" (p.150), s'interrogeant sur la légitimité de ce travail ("avais-je besoin d'écrire "ça"?" p.84).
Le roman se divise en trois temps avec l'enfance de Lucile d'abord, avant d'entamer dans une seconde partie sa vie en tant que mère, dès l'âge de 18 ans. C'est aussi la période de ses premiers troubles psychologiques, jusqu'à son premier internement en 1980. Delphine de Vigan fouille les origines de ce mal, mais semble elle-même en souffrir. Elle cauchemarde, craint la réaction de sa famille face à la mise en page de révélations dans l'histoire de sa mère :
"J'ai le sentiment d'être piégée dans ma propre démarche dont l'impétueuse nécessité n'est pas si évidente" p.204
"Je voudrais rendre compte du tumulte, mais aussi de la douceur." p. 228
Avant d'en arriver, apparemment à ce qui se trouve être la meilleure explication à cette démarche :
" J'écris à cause du 30 janvier 1980. L'origine de l'écriture se situe là, je le sais de manière confuse, dans ces quelques heures qui ont fait basculer nos vies, dans les jours qui les ont précédées et le temps d'isolement qui a suivi." p. 280
Je ne peux que retranscrire et surtout admirer, le mot n'est pas trop fort, ce travail d'écriture que l'auteur a porté, telle une croix, toutes ces pages qui ont certainement pesé très lourd sur ses épaules, jusqu'à la publication de ce roman, qui n'en est pas vraiment un. Est-ce plutôt un témoignage ? Des mémoires ? Ou la retranscription de mémoires familiales, telle une biographe ?
Car qui pourrait entreprendre une telle démarche? Au-delà du récit je suis surtout impressionnée par ce travail en tant que tel. Comment peut-on prendre sur soi, se battre avec ses regrets, ces silences et ces incompréhensions quant au geste fatal d'une mère, et travailler autour de l'histoire de cette dernière pour mieux la comprendre...
Par ses enregistrements, ses questions auprès des membres de sa famille, mais aussi sa propre analyse de l'histoire de Lucile, Delphine de Vigan dresse un portrait de famille, en plus de celui de Lucile, voyage dans ces décennies qui ont mené sa mère jusqu'à cette chute définitive, il y a quelques années.
Sans tomber dans le pathos, Delphine de Vigan reste forte malgré ses hésitations, et écrit ce livre comme un témoignage, un souvenir de ce qu'était sa mère. C'est comme un moyen d'exprimer ce qu'elle n'a pu lui dire auparavant...un hommage mais aussi une certaine mise en garde contre ses secrets de famille, ses silence qui peuvent être la cause de problèmes ultérieurs...
C'est aussi se souvenir d'une enfance difficile, et de scènes dont on était témoin sans véritablement les comprendre...
"J'écris Lucile avec mes yeux d'enfant grandie trop vite, j'écris ce mystère qu'elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui, lorsque j'ai eu dix ans, ne m'a plus jamais prise dans ses bras." p. 187
C'est enfin la découverte de la France, de la capitale d'avant, des jeux des enfants avant les consoles et Playstation, la culture de l'époque, les espoirs quant à une nouvelle politique, les réunions familiales une fois que chacun part faire sa vie en dehors du nid familial...
J'ai fini la lecture de ce roman il y a quasiment 24 heures, et je pense encore à ce travail autour de l'écriture de Rien ne s'oppose à la nuit. Ma première expérience autour d'un livre de Delphine de Vigan est une réussite, j'ai été surprise par ce roman, et conquise par son écriture...Je pense ressortir d'ici peu de temps ses Heures souterraines, histoire de découvrir à présent son écriture de la fiction... (même si une part de l'auteur semble toujours se dégager de ses écrits). Rien ne s'oppose à la nuit n'a pas fini de me revenir à l'esprit...
Il m'a été possible de lire ce livre grâce au Matchs littéraires de Price Minister, et je remercie les organisateurs de m'avoir donné cette chance d'acquérir ce roman, et les éditions JC Lattès.
"Car au fond je sais que Lucile est toujours restée suspendue au-dessus du vide et ne l'a jamais quitté des yeux."
"Je donne à voir ma vérité. Elle n'appartient qu'à moi."