... Tout le monde se rappelle des images de La Nouvelle-Orléans, noyée, engloutie par les eaux suite à l'ouragan Katerina, sans précédent et si dramatique.
Ce livre n'arrivait pas à attirer mon regard, jusqu'à maintenant. Le déclic, un reportage avec l'organisateur d'un club de lecture, pour mon journal. Quand j'ai vu sa liste de livres déjà présentés, sa passion autour du partage de la lecture, et la présentation de son dernier choix, ce livre, lors de la prochaine réunion... quand je l'ai vu là, devant moi, dans la bibliothèque de ma ville, sans hésiter, je l'ai pris !
Nous suivons l'arrivée de cet ouragan, par la narration de plusieurs de ses victimes. Josephine Linc. Steelson, "négresse depuis presque cent ans", qui a subi la "justice" des hommes blancs en perdant son mari très jeune, qui a vu ses enfants partir, ses amis, et qui connait les marais et les bayous autour de La Nouvelle-Orleans, mieux que personne. Cette tempête, elle est la première à la sentir, et à entrevoir sa violence. Il y a Keanu, homme cassé qui porte sur ses épaules le poids d'un travail en enfer, sur une plate-forme pétrôlière. Il y a Rose, qui perd au tribunal pour l'obtention d'une pension alimentaire, et qui se sent seule, seule avec son jeune fils de 6 ans. Il y a un révérend, qui rend visite aux prisonniers de la Parish Prison, et qui les fuit lors d'un semblant d'émeute, dans laquelle se trouve Buckeley, dernier personnage que Laurent Gaudé nous présente dans ce livre.
Une lecture en deux temps. Le premier, au coeur de l'épouvante. Je sentais le vent souffler, hurler entre les habitations, la pluie déferler, noyer la ville, la peur des habitants, leur fuite, ou leur résignation, face à cette élément supplémentaire à leur malheur. Je sentais cette odeur de pourriture, d'eau sale et étouffante. Cette crainte de voir le monde sombrer sous la main vengeresse de Dame Nature, qui ne supporte plus son exploitation par l'Homme.
Pour les deux-tiers de ce roman, je me suis jetée à corps perdu dans le récit, les pages tournaient comme si ce vent les soufflait une à une, sans laisser aucun répit, jusqu'à ce que le vent tombe, et que les survivants de La Nouvelle-Orleans relèvent la tête, apeurés, craignant la rupture de la digue.
Pour le dernier tiers de ce roman, un personnage m'a miné, ennuyé, exaspéré : le révérend. Vous voyez dans certains films ce révérend qui prêche de toute son âme la parole de ce Dieu auquel plus personne ne croit lors de pareille catastrophe, celui qui croit que tout peut être un signe de ce Dieu qu'il vénère...et que si une hache se trouve sur son passage, c'est un message on ne peut plus clair qui lui est adressé.
A cause de lui ma lecture est passée de "très bonne" à "bonne"...Le souffle manque, la narration stagne, mais ne fait-elle pas comme l'eau inondant les rues de la ville, et charriant ses crocodiles à la recherche des personens hagardes, perdues ?
Ce livre est un doigt pointé contre l'abandon de la population noire et pauvre de la ville, lors de cette catastrophe naturelle qui a fait tant de victimes et de dégâts. Les Etats-Unis ont dévoilé leur faiblesse, sa sélection permanente à l'encontre des personnes à sauver en priorité, avant de s'intéresser aux dernières de la liste. Josephine Linc. Steelson est forte, intelligente, révolutionnaire à bientôt 100 ans, fière de ses origines et toujours prête à en découdre, en montrant par exemple où ce pays les a mené...dans un terrain de sport malodorant où des centaines de personnes se tassent pour survivre !
L'auteur était-il témoin de cet événement ? Je ne saurais répondre à cette question. Mais ce roman est comme un cahier ouvert aux suppliques des oubliés de La Nouvelle-Orléans.