... Ou comment sombrer dans une France cauchemardesque, à
l'heure où les extrême-droites se renforcent dans une société du chaos.
Lire Le bloc, c'est plonger dans un mauvais rêve, se laisser entraîner dnas un univers ressemblant beaucoup à celui dans lequel nous vivons au quotidien, mais où les émeutes font des centaines de morts. L'auteur, Jérôme Leroy, signe ici un roman noir, une dystopie, qui a surtout d'effrayant le fait qu'il donne l'impression de n'être qu'à un doigt de plonger dans ce cauchemar...
Quatrième de couverture :
Sur fond d'émeutes de plus en plus incontrôlables dans les banlieues, le Bloc Patriotique, un parti d'extême-droite, s'apprête à entrer au gouvernement.
La nuit où tout se négocie, deux hommes, Antoine et Stanko, se souviennent.
Antoine est le mari d'Agnès Dorgelles, la présidente du Bloc. Stanko est le chef du service d'ordre du aprti. Le premier attend dans le salon d'un appartement luxueux, le second dans la chambre d'un hôtel minable.
Pendant un quart de siècle, ils ont été comme des frères. Pendant un quart de siècle, ils ontparticipé à toutes les manips qui ont amené le Bloc Patriotique aux portes du pouvoir. Pendant un quart de siècle, ils n'ont reculé devant rien. Ensemble, ils ont connu la violence, traversé des tragédies, vécu dans le secret et la haine. Le pire, c'est qu'ils ont aimé cela et ne regrettent rien. Ils sont maudits et ils le savent.
Au matin, l'un des deux devra mourir, au nom de l'intérêt supérieur du Bloc.
Mais qu'importe : à leur manière, ils auront écrit l'Histoire.
Ce livre se dévore, mais ce livre dérange. Pourquoi ? Car les deux personnages principaux sont des ordures, des racistes, des meurtriers...bref, le genre de types qui donne envie de leur cracher dessus s'il sont cités dans les faits divers, mais le genre de personnes qui, dans le roman, est marqué par la souffrance, la souffrance face à une violence démoniaque de la vie, et qui entraîne la violence ensuite...une boucle qui ne cesse de tourner...
La plupart des phrases m'ont fait l'effet d'une sentence, comme l'annonce d'un partant à la dérive, sans solution pour s'en sortir. Ici, la violence est une fatalité, un évènement qui est narré en long, en large et en travers dans les journaux télévisés, qui décomptent avec fatalisme le nombre de victimes des émeutes : 756 morts, ah il y en a un de plus !
"C'est étrange mais, à part le pouvoir qui panique, on dirait presque qu'il y a un soulagement suicidaire dans le pays. L'abscès est enfion crevé. Haïssez-vous les uns les autres. Craignez-vous es uns les autres." p. 15
Pour Antoine et Stanko, cette nuit posant le cadre du roman est la dernière dans le déroulement de leur vie. Antoine attend que sa femme, Agnès, présidente du Parti du Bloc, vienne à bout de ses négociations avec le gouvernement en place pour acquérir des portefeuilles de ministère. Cette entrée officielle du parti sur la politique nationale sonne alors le glas de la viequ'il a mené, et en annonce une nouvelle. Pour Stanko, ce bouleversement politique entraîne une épuration de certaines figures du parti, faisant à présent tache, et en particulier la sienne. Avec la milice armée, qu'il a lui-même entraînée, aux fesses, sa vie devient un compte à rebours jusqu'à temps qu'il soit retrouvé.
Tous deux sont face à eux-même, l'un dans son appartement luxueux, l'autre dans une chambre d'hôtel sordide, pour un huit-clos les menant à une rétrospective autour de leurs engagements politiques, leur arrivée sur les devants de la scène du Bloc, le Trident tricolore brodé au bras.
Dans cette analyse du passé, le lecteur, sans être trop averti sur la politique, retrouvera des similitudes frappantes avec la montée de l'extrême-droite, jusqu'au deuxième tour des présidentielles, en 2002. Le Frnt National est le Bloc Patriotique, ou inversement. Avec une femme désormais à la tête du Bloc, Jérôme Leroy semble dresser un tableau devant imaginer ce que sera la politique de demain, semblant même exposer des opinions personnelles sur la situation actuelle, en usant de la parole de ses deux personnages :
" Les antiracistes ont toujours été de grands bavards, [...]et sils ne s'étaient pas tant écoutés parler, ils nous auraient entendus venir, nous les bloquistes, les fascistes, la lie populiste, mais ils faisaient tellement de bruitsmoraux avec la bouche que la réalité pendant ce temps-là nous donnait chaque fois un peu plus de voix aux élections et rendait nos idées de plus en plus acceptables, logiques, au point que maintenant, moins d'un an avant les élections présidentielles, c'est la droite "respectable", dure mais "respectable" qui nous appelle au secours en catimini." p. 50
Cette accumulation de similitudes entre l'histoire française et cette fiction font que de pareilles phrases provoquent une part d'angoisse, d'inquiétude, surtout à la vue des 15% d'intention de vote pour la candidate d'extrême-droite.
Comment devient-on rasciste ? Comment passe-t-on de la soumission à la répression ? Par ces deux portraits, Jérôme Leroy montre un destin brisé, bousculé, un refus de suivre les conventions familiales aussi, et un racisme d'adolescent devenir un fer de lance dans la campagne régionale, à l'exemple d'Antoine qui rejoint les rangs du Bloc par les bureaux normands, à Rouen.
Je ne saurais dire comment parfois la lecture de ce roman est dérangeante... Il faut dire que le sujet est à prendre avec énormément de doigté et de mesure pour ne pas se faire traiter soi-même ce facho...Ce qui est déstabilisant, c'est que parfois, il nous semble comprendre le parcours de ces deux hommes si monstrueux... Un court instant nous voyons pourquoi, et finalement, une nouvelle fois, la peur revient lorsqu'on se rappelle qu'avant d'être des fachos, ces hommes étaient comme tout le monde, des gens "normaux"... Ce sont les maux de leur enfance ou adolescence qui les ont emmené sur cette pente dangereuse...
La cruauté n'est jamais très loin, il ne suffit pas de grand-chose, et c'est bien cela le problème.
Car finalement, ce roman ne serait-il pas tout simplement une mise en garde sur demain, sur la possibilité de voir ses extrêmistes prendre le pouvoir ?
Une lecture très intéressante, qui pousse à la réflexion sur ces questions, mais aussi sur notre vie en ce moment, notre quotidien sur la scène politique... La huitième de la sélection de l'Armitière, très différente des autres romans lus précédemment...
Note : 8,5 / 10

