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Ma petite balade dans le monde de la rentrée littéraire 2014 se poursuit. Il y a quelques semaines, ma librairie rouennaise organisait son petit déj' de la rentrée littéraire, l'occasion pour les libraires de présenter quelques titres de cet événement, tout en proposant café, thé et scones à leurs lecteurs.
Comme d'habitude le samedi matin, je me suis levée à l'arraché et, arrivée sur place, j'ai dû choisir entre la chaise ou les scones. Ayant enfilé les premières chaussures me venant sous la main (à talons !), j'ai choisi la chaise. Le cru choisi pour cette rentrée était vraiment très bon. Parmi les titres évoqués, il y avait celui-ci, écrit de la plume d'une auteur que j'ai découvert il y a quelques semaines seulement : Gaëlle Josse.
Après une découverte des Pays-Bas à l'époque des Grandes découvertes (ici !), j'ai retrouvé avec grand plaisir l'écriture de Gaëlle Josse dans un roman ayant pour décor Ellis Island, à New York, porte d'entrée des immigrants du monde entier vers un nouveau monde.
Comment peut-on définir ce lieu ? Un centre de rétention, un centre de "tri" des immigrés croyant en un monde meilleur ?
Toujours est-il que, dans ce roman, nous vivons les derniers jours d'activité de ce lieu, par la parole de son directeur, qui ferme une à une les portes de ces bâtiments, tout en se lançant dans l'écriture d'un journal de bord, narrant ces dernières heures, mais aussi les périodes où le centre vivait jour et nuit au gré des arrivées de bateaux.
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Plus qu'un journal de bord, le texte prend très vite la forme de confessions d'un homme qui semble vouloir s'exorciser de ce lieu où il a travaillé toute sa vie. Nous sommes en novembre 1954, et John Mitchell erre dans les bâtiments vides d'un centre où des milliers d'hommes, femmes et enfants sont passés, pour vivre une nouvelle vie sur la terre de toutes les promesses : les Etats-Unis. Alors que la nature semble reprendre ses droits progressivement, le directeur est hanté par toutes ces personnes, et couche ses souvenirs sur le papier, avant de définitivement partir, pour vivre sa retraite dans l'appartement familial de Brooklyn.
Pour ceux qui connaissent l'histoire de ce site, pas besoin de préciser qu'elle est à la fois lourde et sordide. Pendant des dizaines d'années, les immigrés se transformaient quasiment en troupeau de bétail, parqués dans ces bâtiments en attendant d'avoir le précieux sésame : la nationalité américaine, et l'autorisation de fouler le sol américain de leurs pieds.
Bien entendu, ces conditions d'accueil n'étaient réservées qu'aux voyageurs de troisième classe, ceux qui ont abandonné le peu qu'ils avaient pour se donner une nouvelle chance.
Au fil des pages, John Mitchell présente cet univers, ces sélections, les décisions heureuses pour certains, et désespérantes pour d'autres, la maladie, la pauvreté... Tout y passe, sans fard, sans camouflé. Cet homme semble vouloir s'avouer à lui-même les horreurs commises dans ce centre de rétention pendant de nombreuses années.
Ce roman nous permet de croiser des personnages qui sont vraiment passés entre les murs d'Ellis Island, tels que le photographe Augustus Frederik Sherman. Ses portraits "ethnologiques" des personnes passant par cette île sont aujourd'hui exposées, comme des témoins d'une époque. Pourtant, quelques années après leur publication sur National Geographic, ces portraits serviront également à la propagande extrémiste pour dénoncer l'arrivée de ces immigrés du monde entier. A-t-il vendu ces clichés ? Ces questions demeurent sans réponse...
Une nouvelle fois, Gaëlle Josse m'a transportée. Ce roman est d'une extrême justesse. Il n'y a pas de sentimentalisme à outrance, ou encore de dénonciation ouverte. J'y vois plutôt un moyen d'engager ses lecteurs dans des recherches complémentaires, une façon d'orienter les lecteurs vers de nouvelles pistes de recherche (ce que j'ai fait concernant Sherman, par exemple. Extrait ici).
Je me dis aussi que c'est un lieu que j'aimerai bien découvrir si j'ai l'occasion, un jour, de voyager jusqu'à New York. En attendant, il me reste des scènes de ce roman qui me trotte dans la tête depuis deux semaines déjà.
Merci à Gaëlle Josse pour ce superbe roman, qui m'en a appris bien plus, en une centaine de pages, par rapport à des films hollywoodiens tels que "The Immigrant", sorti l'année dernière, et qui ne m'avait pas autant touché, sur la question de ces hommes et femmes passant les portes du centre d'Ellis Island.